Zéro déchet, est-ce possible ?

Le 10/03/2025
Pascale Solana.
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le déchet non récupérable relevait de l'impensable. Deux siècles plus tard, réutiliser, recycler, rendre à la terre pour atteindre le zéro déchet est un immense défi. Avec vous, Biocoop s'emploie à le relever...
Pascale Solana.


"Pouah ! Ça puire !" C'est sans doute ce que nous nous exclamerions, tel Jacquouille la Fripouille, si on nous renvoyait au Moyen Âge ou sous l'Ancien Régime dans les "rues" très encombrées d'une ville comme Paris. Sans trottoir, ni chaussée - ils arrivent vers 1820 avec la technique de revêtement de l'Écossais McAdam -, souvent couvertes de gadoue de déchets fermentescibles, où vaquent des animaux domestiques, cochons et autres volailles, qui ont droit de cité. Les immondices sont évacuées au bas des maisons, devant les commerces ou ateliers, au mieux en tombereaux pour fertiliser les cultures alentour. L'histoire et la suite, on connaît. Elle nous propulse au XIXe siècle, avec l'hygiénisme et la mise en boîte des ordures par le préfet Poubelle et ses réglementations (1883). Tandis que la transformation urbaine s'accélère, la cohabitation avec la malodorante ordure se complexifie. Élevages et abattoirs sont poussés hors les murs de Paris. La population augmente, la masse de déchets aussi. Avec le développement des chemins de fer et des routes, ils partent par wagons ou par voie d'eau de plus en plus loin amender les cultures, telle la betterave sucrière en plein essor. La révolution industrielle bouleverse la ville et son économie organique, comme le démontrent Fabien Esculier et Emmanuel Adler dans l'ouvrage technique très documenté et illustré Des immondices aux biodéchets (Éd. Presses des Ponts avec le Syctom) : outre l'histoire des déchets à Paris, on découvre les innombrables filières de valorisation des matières organiques de la capitale, qui alimentent l'agriculture, l'artisanat et, notamment au XIXe siècle, l'industrie.
Même les crottes !
Dans cette mutualisation de trois secteurs, les chiffonniers jouent un rôle essentiel. Hommes, femmes et enfants, ils sont environ 40 000 à Paris, parfois misérables. Par leur travail, rien ne se perd, tout se trie et se récupère pour renaître. Tout. La profession compte des ramasseurs de textiles pour la fabrication du papier, de métaux divers, de vaisselles cassées, de coquilles d'huîtres, de mégots à reconditionner, même de crottes : l'étron de chien est recherché par la confection des gants de luxe pour adoucir les cuirs. L'époque voit la naissance d'étonnantes filières de valorisation comme celle du père Chapellier qui organise le ramassage du pain perdu, d'abord auprès des cuistots parisiens, puis partout, pour le revendre en croûtes pour l'alimentation animale... Ou humaine selon la qualité ! L'homme fera fortune et la léguera à sa mort aux chiffonniers. Les ramasseurs de crottin de cheval accompagnent le développement des champignonnières dans les carrières abandonnées de Paris, puis en banlieue, à Montrouge, Bagneux, Meudon, etc.
Du balai les déchets...
Au XXe siècle, le passage à une économie fossile change la donne. L'accroissement de la taille et de la densité de la ville influe sur les techniques de gestion, expliquent Emmanuel Adler et Fabien Esculier : logistique de plus en plus industrielle, confinement des matières dans des poubelles où le tri devient difficile, transport et traitement massifiés. Des usines continuent de transformer les gadoues pour leur retour au sol. Mais avec les engrais chimiques qui se généralisent après la Seconde Guerre mondiale, elles sont de moins en moins prisées par l'agriculture. De plus en plus polluées, elles sont de toutes façons difficiles à réintégrer dans les cycles du vivant ; puis, société de consommation oblige, les déchets de tous poils ne cessent de croître ; et pour finir, le plastique les envahit. Pensée au départ comme complémentaire (1896, première usine à Saint-Ouen sur Seine), l'incinération se généralise, le tri finit au vide-ordures, etc. Aujourd'hui, face aux problèmes environnementaux, le retour à une économie circulaire devient une nécessité. Vision et volonté politiques conditionnent évidemment sa mise en place. Elle suppose également une adaptation aux territoires selon leurs caractéristiques et une réappropriation sociale généralisée des différents modes de gestion des ordures, qui passe aussi forcément par le geste individuel. Enfin, elle n'a de sens que si la sobriété est prioritairement mise en œuvre : une sobriété chimique, une limitation de surabondance agricole et alimentaire, donc le gaspillage par exemple comme le rappellent les deux auteurs. Refuser, réduire, réutiliser, recycler, rendre à la terre, les fameux cinq R de la démarche zéro déchet.


Zéro déchet ? Pourquoi pas !
Chez Biocoop, la progression se mesure chaque année... Trois axes principaux ont été retenus pour tendre vers le zéro déchet. À ce jour, 39% de l'offre est déjà vendue en vrac ou dans des emballages rechargeables ou réemployables.
1. Le vrac
Présent dès les origines de Biocoop, le vrac, c'est plus de 600 références au catalogue des magasins : céréales, légumes et fruits secs, biscuits, huile d'olive, gel douche, lessive, dentifice...
On s'y met
1. En mars, des opérations spéciales et des remises sur le vrac pour encourager cette habitude.
2. Avec le vrac, on économise des emballages et de l'argent.


2. La consigne
- Dès 1987, des magasins Biocoop ont pratiqué le réemploi. En 2020, le réseau a voulu le généraliser. C'est le premier distributeur à avoir mis en place la consigne pour réemploi, du verre principalement.
- Recycler, c'est bien, mais réemployer, c'est mieux ! En réemployant le verre, Biocoop économise jusqu'à 79% d'énergie, 77% d'émissions de gaz à effet de serre et 51% d'eau, par rapport au recyclage (Ademe) où il est refondu à 1 500 °C. Pour que le réemploi soit utile, il faut un bilan environnemental positif, ne pas faire voyager les bouteilles consignées trop loin pour les laver par exemple. Il faut donc construire des boucles avec des partenaires locaux. Ma bouteille s'appelle revient à Valence (Drôme) et Alpes Consigne à Grenoble (Isère) sont parmi les pionniers.
- 80% des magasins sont points de collecte et 100% devraient l'être fin 2025.
- Plus d'un produit sur cinq en réemploi dans les rayons vins, bières, boissons fraîches, soit 120 références.
- En quatre ans, 690 tonnes de contenants ont été collectés pour le réemploi.
On s'y met
1. Les produits consignés, principalement du verre, portent le logo "Rapportez-moi pour réemploi" du Réseau Vrac et Réemploi.
2. Les contenants vides rapportés dans un des 600 points de collecte Biocoop sont stockés puis ramassés.
3. Les emballages sont lavés puis commercialisés pour réemploi par les fournisseurs de Biocoop. La nouvelle boucle peut démarrer.


3. L'écoconception
Sur les produits à marque Biocoop ou les marques nationales, il s'agit de privilégier les matériaux issus de ressources renouvelables - exit le plastique dès que possible -, de repenser des emballages minimalistes...




Argile verte
Suppression de l'étui en carton, remplacement du sachet plastique par un Doypak majoritairement en papier.
-1,9 tonne d'emballages/an




Tofu
Substitution du fourreau en carton par une simple étiquette plus légère (0,61 g vs 15 g) = réduction du volume et du poids du transport.
-5,7 tonnes d'emballages/an*




Épices
Remplacement des flacons en plastique.
-11 tonnes de plastique/an*
-47% du poids d'emballages
*Épices Cook et tofu Tossolia vendus chez Biocoop.
Progression globale vers le zéro déchet depuis 2020
-233,3 tonnes d'emballages dont 93,8 tonnes de plastique
Poids d'emballage évité
(T cumulée)


Article extrait du n°135 de CULTURE BIO, le mag de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.